Ici c'est la partie histoire. C'est un peu carte blanche au niveau de la mise en forme, tant qu'il y a une vingtaine de lignes, c'est tout ce qui compte.Une explosion. Un drame. Pour beaucoup, leurs vies s'achevèrent à cet instant. Pour Daryl, elle ne fit que commencer. Lorsqu'il ouvrit les yeux, ce fut pour découvrir un monde qu'il ne connaissait pas. Un monde détruit, un monde soufflé par une explosion, un monde apocalyptique... Daryl était né à la fin de tout, au commencement d'une nouvelle ère.
Sa tête le faisait horriblement souffrir. Ses pensées s'emmêlaient, amas de mots sans véritable sens, aussi incompréhensible que tout ce qui pouvait l'entourer. Sa main avait remué instinctivement et s'était heurtée à quelque chose de mou, de doux... Difficilement, Daryl était parvenu à agripper cette chose étrange, réussissant à tourner la tête vers cette dernière. Une peluche. Epargnée par l'explosion. Sale, mais presque intacte. Pas comme la fillette à qui elle appartenait. Les yeux grands ouverts sur le vide. Morte. Morte comme les autres. Morte.
Ce fut sa dernière vision de l'explosion. Cette petite fille arrachée à la vie, cette lumière éteinte, plongée dans l'obscurité... Daryl avait perdu connaissance.
Il avait vu une femme. Une femme aussi belle qu'un ange. Une femme qui semblait l'appeler. Il avait du mal à entendre ce qu'elle disait : David ? Daryl ? Elle avait l'air inquiète. Elle pleurait. Elle le cherchait. Elle ne le trouvait pas. Il voulut l'appeler, mais cette vision disparut, laissant place à une lumière intense.
La réalité. Daryl cligna des yeux, s'habituant difficilement à la luminosité. On l'ausculta, on lui posa des questions, il sut à peine y répondre. Qui était-il ? Daryl... ou David... Il ne savait pas très bien... Tout était si confus...
Il se sentait vide. Terriblement vide. Il ne pouvait penser qu'à la femme de ses rêves. Elle avait l'air si triste. Sans trop savoir pourquoi, Daryl aurait tout donné pour être à ses côtés et lui faire comprendre qu'il était là. Qu'elle n'avait plus à le chercher. Mais ce n'était qu'un rêve...
Amnésie, c'était ce qu'ils lui avaient dit. Les médecins lui avaient expliqué ce "vide" dans son crâne, avec les mots qu'il parvenait tant bien que mal à comprendre. Le choc avait été trop dur, sa cervelle avait été endommagée, sa mémoire était partie, partie pour ne plus revenir, peut-être...
Il s'était éveillé après un coma ayant duré quelques jours. Son rêve lui avait pourtant semblé si court... Il s'était éveillé en un monde qu'il devait réapprendre à connaître, lui qui ne demandait qu'à engloutir un savoir qui lui échappait mais qui, autrefois, avait dû lui appartenir...
Heureusement pour lui, il n'était pas tout seul. Grâce aux papiers qu'il avait en sa possession, l'hôpital était parvenu à contacter sa famille. Ou ce qu'il en restait, tout du moins. Sa mère s'était précipitée à son chevet dès qu'elle avait reçu la nouvelle. Elle avait pleuré en constatant l'amnésie de son fils, mais elle avait vite relevé la tête : il était vivant. Vivant et entier. Ils n'auraient qu'à travailler ensemble pour qu'il retrouve la mémoire...
Il était intelligent, apparemment. Il réapprenait vite. Sorti de l'hôpital, aidé par sa mère et un précepteur, il avait réappris à lire, écrire, compter, calculer, raisonner. Il ne lui avait fallu que quelques semaines, un peu plus d'un mois... Sa mère lui affirmait qu'il était brillant.
Elle lui avait raconté un peu ce qu'était sa vie, autrefois. Professeur de Lettres Modernes, il enseignait à l'Université de Bristol avant d'être muté à Londres quelques mois avant l'explosion. La description qu'elle faisait de lui manquait de détails, regorgeait de trous, comme si elle voulait s'assurer qu'il ne sache pas certaines choses... Beaucoup de ses questions recevaient une réponse bien vague. A part pour affirmer que son fils était la huitième merveille du monde, qu'il était d'une intelligence rare et méritait mille prix d'excellence, Mrs Thorne était peu décidée à lui offrir toutes les clés de son passé.
Etait-il marié ? Non, lui affirmait-elle. Aimait-il quelqu'un ? Elle répondait la même chose, mais avec véhémence, comme s'il posait une question interdite, une interrogation taboue. Parfois, elle s'énervait, allant même jusqu'à lui crier dessus, à hurler qu'il avait déjà eu cent fois une réponse à cette question et qu'il ferait mieux de se concentrer sur autre chose pour espérer guérir. Alors, il avait fini par se taire. Mais ses pensées le ramenaient inéluctablement vers la femme de ses rêves. Cette femme qui l'appelait par son prénom... Où était-elle ? Qui était-elle ? Il avait la bizarre impression qu'elle n'était pas un simple rêve...
En parlant de rêves, les nuits de Daryl étaient toujours très mouvementées. Chaque fois qu'il s'endormait, s'agrippant instinctivement à cette peluche qu'il n'avait plus quitté depuis l'accident, comme pour se protéger de ce monde qu'il peinait encore à comprendre, Daryl rêvait. Il rêvait et s'aventurait dans des rêves ou des cauchemars qui n'étaient pas vraiment les siens. Des rêves qu'il pouvait contrôler...
C'était si amusant. Daryl aimait rendre les rêves plus colorés, plus joyeux. Il aimait discuter avec les gens, faire leur connaissance, les rassurer après un terrible cauchemar... Se faire des amis, en somme.
Une fois ou deux, il avait réussi à retrouver la femme de ses rêves. Mais il s'était toujours réveillé avant de pouvoir se faire entendre d'elle. Incapable de l'atteindre. C'était tellement frustrant...
Daryl avait parlé de certains de ses rêves à sa mère. Comment il avait rejoint les rêves du concierge de leur immeuble et l'avait aidé à surmonter sa phobie des araignées. Pour lui, c'était un événement comme un autre, quelque chose qu'il apprenait, mais qui était d'une évidence pour tout le monde, pour tous ceux qui n'étaient pas amnésiques.
Ce n'était pas le cas, bien évidemment. Mais il l'ignorait et il avait accepté de n'en parler à personne quand sa mère le lui avait ordonné, la croyant naïvement lorsqu'elle affirmait que c'était "privé" et que "les gens n'aimaient pas parler de ce genre de choses intimes". Après tout, pourquoi sa mère lui mentirait à ce sujet-là ?
Durant les années qui avaient suivi l'explosion, Daryl avait regagné en autonomie. Il avait réappris à s'habiller et à manger seul, à remplir des papiers administratifs, toutes ces petites choses essentielles dans la vie de tous les jours. Il avait également trouvé un métier, renouant avec son amour des lettres en devenant bibliothécaire dans un petit établissement de Londres. Il n'avait plus les compétences pour demeurer le professeur d'Université respecté qu'il était autrefois, mais il pouvait au moins travailler auprès de ce qu'il aimait le plus : les livres.
Aujourd'hui, Daryl mène sa petite vie au jour le jour. Peu à peu, certains souvenirs lui reviennent : il se rappelle que son père est mort à ses sept ans, renversé par une voiture. Il se souvient du visage de son coup de cœur au collège et de la manière dont elle l'avait jeté parce qu'il était trop "intello et coincé". Bref, pleins de petites anecdotes, de petites images qui, progressivement, parviendront à l'aider à reformer le puzzle de sa vie...
Mais la femme de ses rêves reste toujours une énigme. Il la voit parfois dans son monde onirique, ombre inaccessible. Elle est là, elle l'appelle. Un jour, Daryl la rejoindra...