« Maman, il est où papa ? » A chaque fois que je posais cette question, c'était le même scénario. Une fourchette qui tombait dans l'assiette et des larmes qui perlaient aux coins de ses yeux avant qu'elle ne parte dans sa chambre et qu'on l'entende pleurer. A chaque fois, j'avais l'impression de poser la question du diable. Je jouais avec mes pommes de terre imbibés d'eau, ma mère n'avait jamais été bonne cuisinière. Ma grand-mère mangeait tranquillement sa soupe. A ce dont je me souvenais, elle avait toujours vécu avec nous, dans ce taudis qui tombait en ruines.
« Tu sais Ollie, il ne faut jamais poser cette question. » Cela faisait un million de fois qu'elle me le disait mais je n'écoutais jamais. Ce n'était pas facile d'avoir six ans et de ne pas avoir de père. On me demandait toujours, à l'école ou au club de base-ball où il était. On riait de moi, disant que je devais être trop méchant pour ne pas avoir de père.
« Pourquoi ? » « Ca fait de la peine à ta mère. » Je serrais mon poing sur la fourchette. Peut-être mais je voulais absolument savoir. Je reniflais, passant la manche de mon pull sur mon nez.
« Ton père était quelqu'un de bien. S'il n'y avait pas eu cette foutue guerre, il serait encore là ! » Elle ronchonnait en triant ses carottes, elle en avait horreur. Ma mère ne revint jamais finir le dîner. Je passais devant sa chambre et ma grand-mère enlevait un verre et une bouteille. Ma mère ne travaillait plus, ma grand-mère disait que c'était de la fatigue, en fait, ma mère était alcoolique et ruinait sa vie. C'était surtout ma grand-mère qui s'occupait de moi, comme tout le temps. Le seul souvenir de mon père réside sur la photographie sur la commode.
« Mesdames et messieurs veuillez attacher vos ceintures, nous allons bientôt décoller. » Je regardais à travers le hublot. C'était ma première mission, je partais pour l'Afrique du Sud. Je resserrais ma cravate, et je m'installais plus confortablement dans le siège de l'avion. L'agence avait dit que ce serait mieux de prendre un vol commercial afin d'alléger les soupçons. J'étais un kingsman depuis un an et je me sentais fier. Ma mère était décédée quatre ans auparavant d'un cancer de l'estomac et ma grand-mère avait continué à m'élever. Elle m'avait donné le nom d'un ami de mon père, revenu de la guerre et réhabiliter au sein d'une société qui voudrait me voir un jour ou l'autre. Cet ami était devenu un kingsman et c'était grâce à lui que j'étais à présent dans ce siège.
« Pitié que tout se passe bien... » J'entendis une voix féminine murmurer ces quelques mots à côté de moi.
« Nerveuse ? » Elle sourit légèrement avant d'acquiescer la tête. Elle était jeune, plus jeune que moi en tout cas.
« Vous savez vous avez plus de chance de mourir écrasée par une voiture que dans le crash d'un avion. » « Ce n'est pas rassurant. » Je ris légèrement. Je remarquais qu'elle portait un uniforme.
« Voyage scolaire ? » « Exactement. » Elle sourit.
« Le dernier avant l'université. » Je regardais dans l'habitacle, je voyais bien d'autres élèves avec le même uniforme.
« Et vous ? » Je sortis un instant de mes pensées.
« Pour affaires. » Ce fut la fin de la conversation, du moins pendant une petite heure car après ce fut un vrai moulin à paroles. Elle me fit beaucoup rire.
Cela faisait quatre jours que j'étais sur place et j'avais bien eu du mal à récolter mes informations. Ce fut la première fois de ma vie que j'avais posé une arme sur un homme et que j'avais tiré. J'avais tué autrui. Je marchais dans les rues de la ville, errant comme pour chercher à expier cette faute. Qu'est ce que je croyais que tout serait rose dans ce métier ?
« Monsieur Hamptons ! » Je reconnus cette voix angélique.
« Mademoiselle Jullians. » Fis-je avec un sourire. La petite lycéenne s'était détachée de son groupe pour me rejoindre. Qui aurait cru que c'était dans cette ville que j'allais rencontrer l'amour de ma vie en la personne de Hanna Jullians.
« C'était un magnifique opéra. » « J'en étais sûr que ça allait te plaire. » Je souriais à Hanna en lui tenant le bras. On marchait dans les rues de Vienne. C'était notre anniversaire de mariage et je voulais lui faire plaisir. J'étais toujours en déplacement – pour ''affaires'' – et je ne voulais pas que notre couple en pâtisse. On avait deux enfants adorables et je me sentais bien dans ma vie. J'arrivais à tout contrôler, j'avais ce sentiment même de tout-puissant. On fêtait nos cinq ans de mariage et j'avais prévu de marquer le coup avec ce voyage à Vienne. Elle m'avait toujours dis combien elle appréciait cette ville. On rentrait à l'hôtel. Elle riait aux éclats et je souriais. Jusqu'à ce que je remarque que l'ambiance n'était pas la même. L'atmosphère était tendue. Un coup d'oeil à droite. Deux hommes, des armes. Un coup d'oeil à gauche, un homme aussi armée. Ils se rapprochaient et d'un geste rapide je poussais Hanna derrière un comptoir
« A TERRE ! » Je la rejoignis aussitôt alors que les balles traversaient la pièce et que des cris se faisaient. J'avais mon arme sur moi, toujours. En tant que kingsman je ne pouvais pas m'en défaire et il ne fallait pas être Einstein pour comprendre qu'ils venaient pour moi. Je voyais Hanna qui tremblait.
« Chérie, ça va aller. Ca va aller. Je te jure. Juste, peut-être qu'il faut que tu saches que... » Je les entendais arriver. D'un geste rapide je me relevais avant de tirer trois coups. Trois fois dans la cible. Trois hommes à terre. Hanna était en pleine crise d'angoisse, pleurant et ayant du mal à respirer, me regardant comme si j'étais devenu fou. Ce regard, je l'avais toujours redouté.
« Il ne faut pas rester là. » Je l'aidais à se relever pour qu'on aille dans notre chambre. Il fallait faire nos bagages au plus vite. En entrant je fermais la porte à double tour avant de prendre nos valises.
« Faut qu'on parte. » Elle était murée dans son silence jusqu'à ce qu'elle explose. Je m'y attendais... un peu, mais c'était surprenant.
« C'EST QUOI CE DELIRE?! » « Hanna... » Je m'approchais d'elle mais elle reculait comme pour me fuir.
« S'il te plait... » Elle me regarda avec des yeux emplis de froideur. Je soupirais.
« Ecoute, on a vraiment pas le temps. Okay, je ne suis pas un homme d'affaires. Je suis un kingsman, un espion si tu veux mais je t'en pris, on a vraiment pas le temps pour les explications là ! » déclarais-je d'un air exaspéré. Elle fit les valises en silence et on fila en direction de l'aéroport. Sur la route j'avais eu le temps de contacter le patron pour avoir des informations supplémentaires. Dans le taxi, Hanna était calme, elle m'observa.
« Je ne veux pas de cette vie là. » Je m'en doutais, et c'était pour ça que j'avais tout gardé ces années là. Je ne voulais pas la perdre et pourtant c'était ce qui était en train de se passer.
« Hanna... » Peut-être que je me prenais comme un tout-puissant mais sans elle je n'arriverai pas à vivre.
« On se sépare. Si tu veux toujours voir les enfants tu n'as pas intérêt à parler de ton véritable emploi et, tu dois accepter cette séparation. Si tu mentionnes ça une fois, c'est fini. On leur dira qu'on ne s'entend plus c'est tout. » C'est tout ? Elle ne me laissa même pas le temps de répondre, le taxi était arrivé à l'aéroport et elle était sortie de la voiture. Moi qui voulait un souvenir inoubliable de nos cinq ans de mariage je l'avais, mais pas dans le bon sens du terme. En rentrant on déclara à Eliott et Rosie qu'on se séparait, pour le bien de tous. Je mis ma famille sous protection et je tirais ma révérence, en parfait gentleman.
« Allez terreur ! Prête pour ces vacances ?! » Rosie monta dans la voiture avec un air refrogné. Je regardais Hanna qui était sur le pallier de la porte en train de lui faire des signes de mains pour lui souhaiter un bon séjour.
« Je voulais aller camper avec mes amies ! » « Tu es trop jeune ! » « J'ai seize ans papa ! Je n'en ai plus sept ! » Je la regardais. C'était vrai qu'elle avait grandi qu'elle n'était plus ma petite fille mais une magnifique jeune fille. Je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir un petit pincement au cœur. Au divorce, on avait mis tout en place pour que les enfants ne soient pas déstabilisés, mais ils nous en avaient quand même un peu voulu sur le coup.
« Tu vas voir tu vas passer de supers vacances ! » Fis-je d'un ton enthousiaste. Elle n'en avait pas l'air convaincu et bouda tout le trajet. Quand elle décida de sourire c'était surtout sur son téléphone portable.
« Dis-donc tu pourrais quand même parler à ton vieux père ! » Elle roula des yeux. Je lui pris son téléphone portable.
« Hé ! Rends moi ça ! » « T'inquiètes pas, où tu vas tu n'en auras pas besoin. » Fis-je en le rangeant délicatement dans ma poche. Elle bouda de nouveau durant tout le trajet. Je me demandais ce que cela serait quand on arriverait une fois à destination. Après deux heures de route, je m'arrêtais devant une sorte de camp. Rosie leva les yeux avant de rire.
« Tu t'es trompé, là c'est un camp militaire. » Je descendis avant d'aller prendre son sac dans le coffre et de le déposer par terre. Elle sortit de la voiture.
« TU PLAISANTES ?! » « Je suis très sérieux ! » « QUAND MAMAN LE SAURA ! » « Oh non elle n'en saura rien, car tu vois, j'ai ton petit trésor dans la poche et je pense que tu ne veux pas que tes petits secrets soient dévoilés. » Elle resta bouche bée alors que je remis mes lunettes de soleil et que je pris la direction de la voiture.
« TU NE VAS PAS ME LAISSER LA ?! PAPA ! » Je lui fis un grand sourire avant de monter dans la voiture. Pour moi ce serait du travail au Japon et pour elle un bon séjour au camp militaire. Quand elle était petite elle m'en avait voulu d'avoir remplacer ses cours de danse par des cours de karaté et là j'étais persuadé qu'elle me haïssait. Mais, c'était pour son bien.
« Neuf de nos agents sont morts. Il faut que l'on recrute. Vous avez vingt-quatre heures pour me présenter celui ou celle qui pourrait nous rejoindre. » La réunion se termina et je me levais, enlevant mes lunettes pour les glisser dans ma poche et je quittais la salle avant de remonter à la boutique. L'ambiance était tendue. Neuf collègues étaient tombés. J'avais perdu des amis. Je sortis dans la rue avant d'aller me chercher un café à emporter. Je réfléchissais. J'avais une idée de recrue bien évidemment mais cela pourrait comporter quelques risques. Je soupirais en regardant mon breuvage puis je marchais en direction de l'université. Je restais un moment contre la rembarre des escaliers avant de voir mon fils descendre. Il avait la tête dans ses bouquins comme toujours.
« A trop regarder tes livres tu vas finir par tomber. » Il releva la tête, sourit avant de venir à ma rencontre.
« Pourquoi tu es là ? » « Faut que je vois ta sœur. » « On dine ensemble ce soir ? » « Si ta mère est d'accord. » « Elle le sera, elle dine avec son collègue ce soir. » Je ne pus m'empêcher de serrer les mâchoires mais il ne fallait pas que je montre que cela m'affecte.
« Vingt heures ? » Il sourit avant de filer. J'avais toujours eu un peu de mal avec ce gosse, mais j'essayais vraiment de renverser la tendance. Au bout de trente minutes, Rosie sortit, en me voyant elle poussa un long soupir.
« Qu'est ce que tu veux ? » « Quoi tu m'en veux encore pour cette histoire de camp militaire ? Ca fait six ans... » « Tu m'y as envoyé chaque année ! » « Viens avec moi. » Un silence s'installa.
« Non. » « En fait, tu n'as pas le choix. » Je la pris par le bras pour la traîner avant de faire signe à un taxi.
« Tu me kidnappes ?! » « Non, je te montre la voie. » Fis-je en ne la regardant pas. Elle leva les yeux au ciel en marmonnait que j'étais frappé. On arriva à destination.
« Tu me montres la voie... Chez un tailleur ?! » Elle roula des yeux et on entra. Je me dirigeais vers une pièce et j’actionnai la descente.
« Wh... » elle ne put prononcer le reste des mots. On s'arrêta et je fis signe aux autres présents.
« tu crois peut-être que je suis le genre d'homme à rester assis sur une chaise à lire des contrats ? » Elle ne disait rien, regardant autour d'elle.
« J'ai gardé le secret car je l'ai promis à ta mère. Sauf que maintenant, je veux que toi aussi tu en fasses partie. » « Ah ! Perceval ! » Le patron me regarda avant de poser son regard sur Rosie.
« Ta proposition de recrue ? » « Oui, Rosie Hamptons. » « Tu es le premier à avoir eu une idée, nous verrons les autres demain. » Il s'éloigna.
« Recrue ? » « Tu crois que le karaté et le camp militaire c'était pour rire ? » Elle me regarda désemparée. Elle était perdue et je le voyais bien. Pourtant, le lendemain elle accepta de se présenter. J'étais son formateur, et elle devait réussir toutes les missions.
« A présent plus de papa, tu dois m'appeler par mon nom de code, Perceval, et toi Rosie, tu prendras toi aussi bientôt un autre nom. »